Cynisme : Diogène de Sinope (413 – 327 av. J.-C.)

Doctrines et vies des philosophes illustres

Éléments biographiques

Diogène naît en 413 av. J.-C. à Sinope, ville située aujourd’hui en Turquie. C’était à l’époque une importante colonie de Milet (voir Les origines de la Philosophie – L’École ionienne). Son père, banquier, aurait falsifié la monnaie, ce qui aurait causé l’exil de Diogène. Cette falsification paternelle va prendre une valeur symbolique : “Diogène falsifie la morale, la religion, la politique et même la philosophie, c’est-à-dire qu’il contrefait les valeurs traditionnelles pour leur en substituer de nouvelles [DL, VI, 20, note n° 5].

Il vécut à Athènes et était apprécié des habitants de la Cité. Un jeune homme ayant brisé un jour le tonneau où Diogène habitait, les Athéniens réprimèrent le jeune homme et donnèrent un nouveau tonneau à Diogène. Le terme de “tonneau” correspond à l’image classique de Diogène. En réalité, il devait s’agir d’une grande jarre destinée au vin ou à l’huile, et dans laquelle un homme pouvait se tenir [DL, VI, 23, note n° 3].

Il meurt en 327 av. J.-C. à Corinthe, âgé d’environ quatre-vingt-dix ans. Il existe plusieurs versions de la cause de sa mort : l’ingestion d’un poulpe cru, le choléra, une morsure au tendon du pied par un chien (le comble pour un cynique). La version la plus spectaculaire serait un suicide par asphyxie : Diogène aurait retenu sa respiration jusqu’à en mourir.

Diogène avait exprimé plusieurs volontés pour sa sépulture. Il avait répondu à un de ces maîtres, Xéniade, philosophe sophiste, qu’il voulait être enterré face contre terre “parce que sous peu tout sera sans dessus dessous” [DL, VI, 32]. Il avait ordonné “qu’on le jetât en terre sans sépulture afin que n’importe quelle bête sauvage pût prendre sa part” [DL, VI, 79], pour ainsi servir de nourriture ses congénères les chiens. Une autre version raconte qu’une colonne surmontée d’un chien en marbre avait été dressée sur sa tombe. Une statue de bronze fut ensuite érigée par ses concitoyens en son honneur, portant l’inscription suivante :

Même le bronze subit le vieillissement du temps, mais ta renommée, Diogène, l’éternité ne la détruira point. / Car toi seul as montré aux mortels la gloire d’une vie indépendante et le sentier de l’existence le plus facile à parcourir. DL, VI, 78.

Éléments de doctrine

Les portraits de Diogène

Diogène est présenté sous deux facettes opposées : un débauché licencieux, hédoniste raillant l’ascétisme de Platon (sur le sujet de la tempérance du sage, voir la métaphore des tonneaux dans le Gorgias) ; un ascète sévère. héros du travail et de l’effort. C’est le second qui serait le véritable Diogène.

Le premier philosophe cynique est Antisthène, dont Diogène sera le disciple. Les débuts de leur relation ne furent pas simples : Antisthène repoussait Diogène à coups de bâton.

Un jour qu’Antisthène avait levé sur lui son bâton, Diogène lui présenta sa tête et dit : “Frappe, car tu ne trouveras pas de bois assez dur pour m’écarter, tant qu’il est clair que tu as quelque chose à dire”. De ce moment il devint son auditeur et, comme il était exilé, il se lança dans la vie frugale. DL, VI, 21.

Origine du terme Cynique

Le terme “Cynisme” vient du grec kunikos, qui concerne le chien, en grec kuôn (Morfaux).

Le nom de “Cynique”, utilisé pour désigner cette doctrine, a plusieurs origines. Antisthène avait fondé son école dans un gymnase, le “Cynosarge”, mot qui signifie “chien agile”. Diogène répondait ceci à ceux qui lui demandait pourquoi il disait être “Diogène le chien” :

“Ceux qui me donnent, je les caresse de la queue ; ceux qui ne me donnent pas, je les poursuis de mes aboiements ; quant aux méchants, je les mords”. DL, VI, 60.

Enfin, les cyniques vivaient selon la nature, comme des animaux, tels des chiens libres et errants, hors des conventions sociales.

Le retour à la nature

La doctrine des cyniques prône un retour à une vie conforme à la nature. C’est l’opposition radicale entre nomos, les lois humaines, les conventions de la civilisation, et le phusis, la nature. Ce refus des lois sera à l’origine de la signification du terme “cynisme” comme étant le mépris des conventions sociales, de l’opinion et même de la morale (Lalande).

La vie conforme à la nature est une vie dans le dénuement : le philosophe cynique pratique l’autosuffisance. Il ne possède presque rien, puisqu’il a tout ce qui lui est nécessaire à sa disposition, le prenant même de droit chez les autres, comme l’affirme Antisthène, le maître de Diogène :

Le sage se suffit à lui-même car tous les biens d’autrui lui appartiennent. DL VI, 11.

Le sage cynique se contente donc de peu, n’ayant avec lui qu’un manteau, le tribôn, un bâton, une besace et une écuelle. Diogène aurait découvert ce mode de vie comme remède à toutes ses difficultés en regardant “une souris qui courait de tous côtés, sans chercher de lieu de repos, sans avoir peur de l’obscurité ni rien désirer de ce qui passe pour des sources de jouissances” (DL, VI, 22). 

L’absence d’un lieu de repos correspond à l’éloge cynique de l’exil et du cosmopolitisme.

Comme on lui demandait d’où il était, [Diogène] répondit : “Je suis citoyen du monde”. DL, VI, 63.

Cette citoyenneté du monde peut se comprendre comme l’appartenance à la nature et la conformité à ses lois, les seules à pouvoir gouverner correctement l’univers. Ce cosmopolitisme se retrouve dans la justification de la mendicité chez les Cyniques : ceux-ci estiment qu’ils ne mendient pas, mais qu’ils ne font que réclamer ce qui leur appartient, en tant que sages. C’est ce que démontre le syllogisme de Diogène :

Tout appartient aux dieux ;
Or, les sages sont amis des dieux ;
Par ailleurs les biens des amis sont communs ;
Donc, tout appartient aux sages. DL, VI, 37.

Histoires particulières

“Je cherche un homme”

Pour montrer toute la difficulté de trouver un être humain digne de ce nom, Diogène alluma une lanterne en plein jour et dit : “Je cherche un homme” (DL, VI, 41). Diogène reprochait à ses contemporains de faire des efforts inutiles en vue de la gloire ou du plaisir, mais de ne faire aucun effort pour devenir un homme de bien. Les musiciens accordent leur instrument en laissant désaccordée leur âme, les mathématiciens observent le soleil et la lune et ne regardent pas où ils mettent leurs pieds (c’est ici une allusion à Thalès qui chuta dans un puits pour avoir observé le ciel sans porter attention à l’endroit où il marchait), les orateurs vénèrent la justice sans la pratiquer, les philosophes blâment l’argent mais le chérissent par-dessus tout (allusion sans doute aux Sophistes). Cette anecdote de la lanterne allumée en plein jour a vraisemblablement inspiré Nietzsche, pour une autre quête.

N’avez-vous pas entendu parler de ce dément qui, dans la clarté de midi alluma une lanterne, se précipita au marché et cria sans discontinuer : “Je cherche Dieu ! Je cherche Dieu !” […] Dieu est mort ! Dieu demeure mort ! Et nous l’avons tué !” Nietzsche, Le Gai Savoir, § 125.

Le soleil d’Alexandre

Alexandre le Grand rendit visite à Diogène. Ce dernier prenait alors le soleil sur une colline de Corinthe. Le roi de Macédoine, dont l’empire s’étendait jusqu’à l’Orient, lui dit : “Demande-moi ce que tu veux”. Diogène lui répondit simplement : “Cesse de me faire de l’ombre”, manifestant ainsi son indépendance vis-à-vis de tout pouvoir humain. Il se racontait même qu’Alexandre, s’il n’avait pas été Alexandre, aurait voulu être Diogène (DL, VI, 32).

Lorsque quelqu’un vanta le privilège de participer aux “magnificences” des repas d’Alexandre, Diogène répondit : “Il est malheureux, lui qui déjeune et dîne quand il plaît à Alexandre” (DL, VI, 45). Le véritable privilège est l’indépendance de l’autosuffisance.

Le bipède sans plumes de Platon

Diogène et Platon se reprochaient mutuellement leur orgueil. Un jour où le philosophe cynique avait été invité chez le disciple de Socrate, Diogène dit en marchant sur un des tapis de la demeure : “Je marche sur l’orgueil de Platon”. Ce dernier lui aurait rétorqué : “Oui, Diogène, avec un autre orgueil” (DL, VI, 26). 

Lorsqu’on demanda à Platon quel sorte d’homme était Diogène, il répondit : “Un Socrate devenu fou” (DL, VI, 54). De son côté, Diogène ne manquait pas de critiquer Platon sur son enseignement.

Platon avait défini l’homme comme un animal bipède sans plume et la définition avait du succès ; Diogène pluma un coq et l’amena à l’école de Platon. “Voilà, dit-il, l’homme de Platon !” D’où l’ajout que fit Platon à sa définition : “et qui a des ongles plats”. DL, VI, 40.

Bibliographie

Émile Bréhier, Histoire de la philosophie.

Diogène Laërce, Vies et Doctrines des Philosophes Illustres, Livre de Poche. Abréviation utilisée dans cet article pour désigner cet ouvrage : [DL], suivi du numéro du livre et de la numérotation des fragments, exemple [DL, VI, 20] pour le livre VI et le fragment 20.

André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie.

Louis-Marie Morfaux, Jean Lefranc, Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines

Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir.

Wikipédia : Diogène de Sinope.

Voir aussi

Notes philosophiques : Platon, Gorgias ou De la Rhétorique.

Notes contemplatives de lecture : Les Cyniques ; Nietzsche, Le Gai Savoir.

Entendre aussi

France Culture, Podcasts des Chemins de la Philosophie :

Dsirmtcom, février 2021.

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