La Vérité En Soi – Edmund Husserl

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Aigrette Garzette, réserve ornithologique du Teich – Photo @dsirmtcom, septembre 2017

Notes philosophiques n° 17

Texte du jour

En fait, c’est seulement chez les Grecs que s’accomplit en l’homme fini l’attitude complètement transformée à l’égard du monde environnant, que nous caractérisons comme un intérêt pur pour la connaissance et, par avance, comme un intérêt déjà purement théorique. Il ne s’agit pas d’une simple curiosité qui, distraite du sérieux des soucis et des peines de la vie, devient de manière accidentelle un pur intérêt porté à l’être et au mode d’être simples des données environnantes, ou même un pur intérêt pris à tout le monde environnant de la vie. Bien au contraire, il s’agit essentiellement d’un intérêt analogue aux intérêts professionnels et aux attitudes qui leur correspondent. À rencontre de tous les autres intérêts, celui-ci revêt le caractère particulier d’être un intérêt qui embrasse le monde  et qui est entièrement non-pratique. On dispose par  avance de toute la vie à venir mue par la volonté et, par conséquent, un horizon de travail conscient est pré-dessiné en tant que champ de travail. Ainsi l’homme est pris d’une aspiration passionnée à la connaissance qui se hausse au-dessus de toute pratique naturelle de la vie avec ses peines et ses soucis quotidiens, et qui fait du philosophe un spectateur désintéressé supervisant le monde.

Ainsi placé, le philosophe considère avant tout la multiplicité des nations, les siennes propres et les nations étrangères, chacune disposant de son monde environnant propre qui, pour chacune, avec ses traditions, ses dieux, ses démons, ses puissances mythiques, a la valeur du monde véritable purement et simplement évident. Au sein de ce contraste étonnant, se fait jour la différence entre la représentation du monde et le monde véritable, et la question nouvelle de la vérité surgit. Non pas donc la question de la vérité quotidienne liée à la tradition, mais celle d’une vérité en soi, identiquement valable pour tous ceux que n’aveugle plus la tradition.

Edmund Husserl, La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale.

Introduction

Dans ce texte où de nouveau nous allons aborder le passage du mythe à une pensée rationnelle nouvelle, Edmund Husserl prend pour thème l’émergence de la philosophie dans la Grèce antique. Il ne s’agit plus de se demander “Où commence la philosophie ?”, mais qu’est qui va la caractériser dans cette approche nouvelle des penseurs grecs. Comment le regard porté sur le monde s’est-il transformé à cette époque et par quelle motivation ? Quelle place a pris celui qui a fait le choix de philosopher ? Comment s’est-il affranchi de sa tradition ?

La philosophie est “non-pratique”

Finitude, Réel et Idéel

Porter un regard nouveau sur le monde qui nous entoure : c’est en Grèce antique que ce regard a été porté pour la première fois. Husserl utilise les termes d’ “homme fini”. Pour mieux en comprendre la signification, il faut aller dans une autre partie de son ouvrage précédant l’extrait étudié dans cet article.

[La culture] (…) a aussi le sens d’un mouvement de révolution de l’historicité, qui devient alors l’histoire de la sortie hors de l’humanité finie et l’accès à une humanité aux tâches infinies. Husserl, Op. cit.

L’homme vit dans la finitude : son existence est limitée. Mais il peut échapper à cette finitude grâce à sa capacité à concevoir des idées. Pour Husserl, l’homme qui conçoit des idées “devient un homme nouveau” (Husserl, Op. cit.).

C’est cette nouvelle humanité qu’il évoque dans son ouvrage, qui accède à l’infini au moyen de ce qu’elle produit intellectuellement. Cette infini devient atteignable par la science, dont la production n’est pas réelle, mais idéelle. Et ces idées produites par la science permettent de produire de nouvelles idées, de s’élever dans la connaissance. Nous avions déjà évoqué Galilée et sa théorie de l’héliocentrisme dans l’article Philosophie et concept, selon Gilles Deleuze. Dans ce même article, nous prenions l’exemple du boson de Higgs, simple concept devenu phénomène démontré. La science transite ainsi d’idées en idées, augmentant la connaissance dans sa “tâche infinie”. En changeant radicalement son regard sur le monde, en posant ce regard non sur ce qu’il perçoit, le réel, mais sur l’idéel, autrement dit en percevant non plus par les sens mais par l’intellect, l’“homme fini” s’affranchit de sa finitude pour accéder à l’infini de la science. Cette “attitude totalement transformée” est motivée par la volonté d’enrichir ses connaissances au moyen de l’intellect, avec une approche théorique et non plus pratique – nous retrouvons ici respectivement l’idéel et le réel). Notons au passage que ces notions rappellent la théorie des Idées élaborées par Platon, qui décrit un monde sensible – celui de la perception par nos sens -, et un monde intelligible – celui des Idées, que nous ne pouvons percevoir qu’avec la vision de l’esprit, c’est-à-dire l’intellect (voir l’article Platon, Phédon – Le corps prison de l’âme).

Intérêt théorique pour la connaissance du monde

Examinons à présent la notion de théorie :

Ensemble de principes formant un système sur un sujet ou un domaine déterminé. L.-M. Morfaux, Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines.

Le regard nouveau porté sur le monde par les Grecs vise à le comprendre et à l’expliquer, afin de parvenir à déterminer les lois immanentes qui l’organisent . L’étymologie du terme “théorie” vient du grec theôria, qui signifie contemplation, issu de theôrein, observer, être spectateur. Les premiers penseurs grecs vont observer le monde, le mettre en théorie, pour accéder à sa connaissance. Ils vont chercher les principes de sa genèse et de son organisation. Pour Thalès, penseur grec présocratique, c’est l’eau qui est le principe des éléments. Pour Anaximène, autre présocratique de l’École ionienne, c’est l’air – qu’il assimile à l’infini -, qui est le principe de la nature (voir à ce sujet l’article Les origines de la philosophie – L’École ionienne). C’est donc une connaissance théorique que cherchent à établir les premiers penseurs grecs. Quelques siècles plus tard, Descartes opérera une transformation similaire de son regard sur le monde, abandonnant ces opinions et préjugés dans une doute radical pour pouvoir cheminer vers la connaissance :

(…) il me fallait entreprendre sérieusement une fois en ma vie de me défaire de toutes les opinions que j’avais reçues en ma créance, si je voulais établir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences. Descartes, Méditations métaphysiques, I.

Nous voyons que la quête de Descartes et celles des premiers penseurs grecs visent à atteindre la connaissance vraie. Cette notion de vérité sera évoquée plus loin dans la deuxième partie du texte étudié. Il s’agit donc bien d’une démarche volontaire pour cheminer vers la vérité.

Curiosité accidentelle vs Intérêts professionnels

Si cette démarche de recherche du vrai est volontaire, c’est bien qu’elle n’est pas une aspiration subite – et subie – pour la connaissance. Elle n’apparaît pas par hasard, comme une lubie soudaine, oubliant un instant la dureté de la vie. Ce n’est pas une attirance inconsciente vers les êtres et les choses qui constituent l’environnement des penseurs grecs. Ce n’est ni une envie irrépressible, ni un besoin tenaillant.

Il s’agit d’une motivation d’un sujet qui veut aller vers la connaissance. Husserl l’assimile aux “intérêts professionnels et aux attitudes qui leur correspondent”. Attardons-nous sur chacun de ces termes pour essayer de mieux les comprendre.

L’intérêt se définit comme :

[L’]intervention d’une motivation subjective dans le jugement moral, esthétique ou de connaissance. Morfaux; Op. cit.

L’intérêt, c’est étymologiquement ce qui importe (du latin interest). L’important, pour les premiers penseurs grecs, est de comprendre par eux-mêmes le monde qui les entoure, au moyen de la théorie et donc le la raison. Nous verrons plus loin que leur choix implique – comme Descartes et ses préjugés – d’abandonner une vision traditionnelle du monde.

Ils font profession d’être “physiciens”, c’est-à-dire d’être ceux dont la profession est d’étudier la nature pour pouvoir l’expliquer, comme nous l’avons vu précédemment, avec des théories. Le terme de “physique” vient du grec phusikos, de phusis, qui signifie nature (Morfaux, Op. cit.). Le sujet de leur recherche est bien la nature et ses phénomènes.

Leur attitude est donc de quitter la vision classique de “l’homme fini”, qui ne perçoit que le réel, pour aller vers cette théorisation du monde à l’aide des idées, aller vers l’idéel, vers les ”tâches infinies” de la science.

Non-pratique, ou pas

Activité pratique

Nous avons déjà évoqué la notion de théorie, classiquement opposée à celle de pratique. Examinons la définition de ce dernier terme en tant qu’adjectif.

Qui concerne l’action, orienté vers l’action. Morfaux, Op. cit.

La distinction se fait entre la théorie – étymologiquement contemplation -, qui observe le monde pour comprendre son organisation avec son intellect, dans l’idéel ; et la pratique, qui est une action dans le monde, dans le réel. Cette distinction n’est pourtant pas aussi catégorique que nous pourrions le concevoir, si nous la considérons à travers le prisme d’Aristote. Il existe une action qui relève de l’intellect, bien que n’étant pas la contemplation exprimée par la théorie. Et la contemplation peut être aussi considérée comme une activité. Simone Manon nous donne les clés pour mieux comprendre ce qui semble un paradoxe :

La distinction pertinente ici n’est pas celle de la théorie et de la pratique, mais de la praxis et de la poiêsis, c’est-à-dire de deux types d’activités (…). Le faire technique, artistique est poiêsis, l’agir moral, l’acte de voir, de penser sont praxis. Simone Manon, Aristote. Le souverain bien est une activité de l’âme selon la vertu dans une vie achevée.

Ces deux actions que sont la praxis et la poiêsis se différencient ainsi : la praxis a sa fin en elle-même – agir moralement, penser – ; et la poiêsis a sa fin dans ce qu’elle produit – une oeuvre artistique, technique. L’étymologie va encore une fois nous aider à mieux appréhender ces notions : le terme “poésie” vient du grec poiêsis, de poiein, qui signifie faire, produire, créer. Le terme de “pratique” dérive du grec prattein, qui signifie agir. Nous sommes donc bien en présence de deux actions, de deux “pratiques”, bien qu’elles relèvent toutes deux de l’intellect.

Théorétique ou théorique ?

Dès lors, comment pouvons-nous comprendre la qualification de l’intérêt pour la connaissance comme “entièrement non-pratique” ? Retournons-nous à nouveau vers Aristote lorsqu’il catégorise la connaissance en trois domaines : sciences théorétiques, sciences poétiques, et sciences pratiques. Les sciences théorétiques traitent de la connaissance pure : la philosophie, la physique, les mathématiques. Les sciences poétiques (dites aussi “poïétiques”) ont pour objet la création, la production : la poésie, la rhétorique, la dialectique. Enfin, les sciences pratiques concernent l’action : la morale, la politique. La qualification de “théorétique”, plutôt que “théorique” vient du caractère équivoque de ce dernier terme :

On dit ici “théorétique” parce que “théorique” est équivoque – on pourrait croire que l’adjectif qualifie la science elle-même alors qu’il qualifie son objet. C. Godin, La philosophie pour les nuls.

L’objet des sciences de la connaissance dite “théorétiques” est bien la théorie, mais sa mise en oeuvre est une activité et par conséquent une forme de pratique. Il faut donc comprendre le qualificatif de “non-pratique” comme instituant une différence entre la vie de l’homme fini, pleine du “sérieux des soucis et des peines de la vie”, et celle de l’aspiration à la connaissance au moyen de la théorie. Les deux sont une forme d’activité, mais sur le fond, elles diffèrent par leur nature : la vie de l’homme fini peut s’accomplir sans la nécessité d’une pensée – cette pensée est contingent -, celle de l’aspiration à connaissance ne peut s’accomplir sans cette pensée – c’est une condition nécessaire (voir les notions de contingence et de nécessité dans le Carnet de vocabulaire). Et, comme nous allons le voir maintenant, cette acte de penser est un acte volontaire.

Une affaire de volonté

Les “physiciens”, premiers penseurs grecs, font le choix de la pensée pour expliquer le monde : c’est un choix volontaire, et cette volonté va être le moteur de leur oeuvre de “professionnels” de la pensée ( sur la notion de choix de la philosophie, voir l’article Philosophie et violence, selon Éric Weil). Ils font ce choix en conscience, d’avoir pour objet d’étude la nature et son organisation, et d’y consacrer leurs recherches. Le domaine d’étude est déterminé, et les outils mentaux que sont la pensée et la raison vont les conduire à la connaissance. Une fois ce choix effectué, ils consacreront leur vie à l’étude de la nature.

Aspirer à la connaissance

Cette vie entière consacrée à la recherche de la connaissance prend la forme “d’une aspiration passionnée à la connaissance”. Le terme de “passion” peut sembler contradictoire avec la notion de volonté :

Au sens classique, est appelée passion tout ce qui, par opposition à l’action, est subi par l’âme. (…) La passion est généralement considérée comme irrationnelle et involontaire, donc comme opposée à la fois à la raison et à la liberté. C. Godin, Op. cit.

Une passion pour la connaissance serait alors non plus un choix, mais quelque chose qui s’imposerait à l’homme. Et ce caractère d’être subie ferait de la passion une aliénation. Il n’y aurait donc pas de place pour la volonté, ni même pour la raison ! Peut-être faut-il entendre cette “aspiration passionnée à la connaissance” comme une sorte d’oxymore. Cette figure de style de la rhétorique – la même qui construit le discours des sophistes (voir l’article Platon, Ménon ou de la vertu) – consiste dans l’alliance de deux termes qui sont en apparence contradictoires : un “silence assourdissant”, un “mort-vivant”, etc. Cette alliance surprend le lecteur au début, et lui permet de découvrir ensuite un nouveau sens induit par l’oxymore. Dans l’exemple de l’”aspiration passionnée à la connaissance”, ce nouveau sens pourrait être que l’attrait pour la connaissance est d’abord une évidence qui s’impose au penseur, qui fait ensuite le choix libre d’y consacrer son existence.

Ce choix de la quête de la connaissance sera supérieur à “toute pratique naturelle de la vie”. Nous retrouvons ici l’opposition entre théorie et pratique. L’ajout du qualificatif “naturelle” au terme pratique peut confirmer que, même si l’intérêt pour la connaissance est “non-pratique”, il ne s’oppose en fait qu’à ce que la vie a de naturel : les peines et les soucis qu’elle fait subir à l’homme. Il est donc “non-pratique naturelle” : c’est une pratique volontairement choisie, à l’inverse des vicissitudes que la vie nous fait endurer contre notre gré.

Enfin, cette aspiration à la connaissance donne une place au philosophe. Il pense le monde en le mettant en théorie, autrement il est contemplateur, “spectateur” de ce monde. Il n’a pas d’intérêt particulier autre que la connaissance. Et c’est justement cette connaissance qui va le placer en position de superviser le monde. L’étymologie de “superviser” vient du latin supervidere, formé de super, au-dessus, et videre, voir. Le philosophe, se haussant “au-dessus de tout pratique naturelle de la vie”, use de sa “super-vision”. Ceci rappelle la distinction que fait Platon entre le monde sensible, que nous percevons notamment par notre vue, et le monde intelligible, celui que nous pourrons, à l’aide de la philosophie, percevoir par la “vision de l’esprit” (voir l’article Platon, Phédon – Le corps prison de l’âme). Cette vision de l’esprit permet au philosophe de dépasser sa condition d’homme fini prisonnier de ses sens, et le fait accéder à la véritable réalité, comme nous allons le voir à présent.

La quête de la vérité en soi

Place du philosophe

A partir de cette position détachée du réel sensible, le philosophe va pouvoir appréhender les différentes conceptions du monde qu’ont construit les différentes sociétés, avec chacune leur propre culture. Cette culture s’est fondée sur des “traditions”. Le terme “tradition” signifie étymologiquement l’action de transmettre (du latin traditio, tradere). En voici la définition :

Transmission spécifique de l’espèce humaine et qui se fait par la voie sociale (orale, écrite ou par les actes), de l’héritage social et de la culture (coutumes, croyances, souvenirs, légendes, histoire, etc.). Morfaux, Op. cit.

Nous avions déjà vu dans l’article Les origines de la Philosophie – L’École ionienne, que le passage de l’explication du monde par le  mythe à celle du monde par la pensée s’est effectué par un passage de la transmission orale à la transmission écrite. Le monde raconté sous forme de récits légendaires devient le monde expliqué par des lois naturelles. Il n’est plus question de croyance, mais de pensée rationnelle. Notons que les éléments de “l’héritage social et de la culture” ont tous un caractère irrationnel : ils ne sont pas fondés sur la raison, mais sur des croyances collectives transmises par la tradition. Une société basée sur la tradition va ainsi considérer que la description que sa culture fait du monde est une évidence. Pourtant il s’agit là d’une évidence portée par les sens et par les mythes. Nous sommes à l’opposé de ce que Descartes définit dans la règle d’évidence, premier précepte de sa méthode (voir l’article La “Méthode” selon Descartes). Pour lui, est évident ce qui se présente :

(…) si clairement et si distinctement à mon esprit que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute. Descartes, Discours de la méthode.

Le même Descartes rejettera ces anciennes croyances qui ne sont que des “fausses opinions” (Descartes, Méditations métaphysiques, I). Ce monde “traditionnel”, considéré comme évident par une société, n’a donc rien de l’évidence cartésienne : il ne résistera pas au doute hyperbolique puisqu’il ne pourra être démontré par une pensée rationnelle.

Représentation et vérité

Le monde décrit par des traditions est en fait une représentation du monde (sur la notion de représentation, voir l’article Une “Vie accomplie” – Aider à mourir quand la vie n’a plus de sens ?). Ce monde “évident” mais qui ne l’est pas, correspond au monde sensible, comme le décrit Platon dans son allégorie de la caverne (voir notamment l’article  Descartes – La puissance de juger de l’esprit). Les prisonniers enchaînés au fond de la caverne croient fermement que le monde se limite aux ombres d’objets et de statuettes qui se projettent sur la paroi en face d’eux. Seul le prisonnier que l’on libère et qui est emmené à la surface va découvrir la véritable réalité où le soleil est le symbole de l’Idée du Bien “en soi” (voir cette notion dans le Carnet de vocabulaire). Il y aura donc ici le “contraste étonnant” qui permet au philosophe de passer de la représentation trompeuse d’un monde sensible à l’évidence du monde intelligible, le seul véritable. Il arrive ainsi à se questionner tel Socrate et son “Ti esti” : qu’est-ce que c’est ? Quelle est l’essence réelle du monde ? Et cette question de la vérité, comme toute interrogation philosophique est inédite, autrement dit nouvelle comme tout ce qui est philosophique (voir l’article Philosophie et concept, selon Gilles Deleuze).

Vérité en soi vs tradition aveugle

En effet, il ne s’agit de la vérité transmise par la coutume, par les légendes, par les traditions ; mais bien de la vérité “en soi” telle que Platon conçoit cette notion. Le monde intelligible, celui des Idées comme celle du Beau ou du Bien, est le seul monde véritable. Comme nous l’avons déjà souligné, c’est le monde que l’on ne peut percevoir qu’avec la “vision de l’esprit” dont seul le philosophe dispose. Lui fait partie de ceux qui ont abandonné la croyance aveugle en une tradition, cette vision faussée par des mythes. Tel le prisonnier parvenant au point ultime de sa libération de la caverne, il peut enfin percevoir le Bien “en soi”, à l’extrême opposé de ses anciens compagnons de prison, aveugles au monde véritable. Soulignons d’ailleurs que l’allégorie de la caverne (voir l’article Descartes – La puissance de juger de l’esprit) se termine par le retour du prisonnier-philosophe, qui finit tué par ceux dont il partageait auparavant le sort funeste. C’est Socrate, condamné à boire la ciguë par les juges d’Athènes, en particulier parce qu’il encourageait la jeunesse à pratiquer la mise à l’épreuve de leur façon de vivre.

(…) une vie à laquelle l’examen fait défaut ne mérite pas qu’on la vive. Platon, Apologie de Socrate.

Cette mise à l’épreuve de sa vie amène à se libérer de l’aveuglement de la tradition, pour atteindre la vérité “en soi”, universelle pour tous ceux qui, quittant leur condition de finitude, chemineront la philosophie.

Conclusion

Quittant la finitude du réel, et faisant le choix de la pensée rationnelle, de la conception d’idées – choix de l’idéel -, le philosophe porte un regard nouveau sur le monde qui l’environne. Mû par sa volonté de connaître, il va alors prendre une place particulière, devenant le contemplateur du monde et son superviseur. Ainsi, aidé par la “vision de l’esprit” il parviendra à distinguer entre les fausses vérités transmises par la tradition sur le monde et son origine, de la seule vérité qu’est la vérité “en soi”.

Dsirmtcom, décembre 2017.

Bibliographie

Descartes, Discours de la méthode, Paris, Librairie Générale Française. Texte en accès libre.

Descartes, Méditations métaphysiques, Paris, Garnier-Flammarion. Texte en accès libre

Christian Godin, La Philosophie pour les nuls, Editions First.

Edmund Husserl, La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale.

Simone Manon, Aristote. Le souverain bien est une activité de l’âme selon la vertu dans une vie achevée.

Louis-Marie Morfaux, Vocabulaire de la philosophie et des sciences Humaines, Armand Colin.

Platon, Apologie de SocrateTexte en accès libre

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